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14/09/2012

"LE BATEAU IVRE" DE RIMBAUD

 "Le Bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteurs de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées, d'enfants,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohu plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots !
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants, la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et de vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants ; je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et  j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !..."

(Extrait du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud).

 

le bateau ivre,rimbaud,poème

 

                       "Tourmente de neige en mer" de William Turner.

Commentaires

Quel plaisir de retrouver certains de ces poèmes de la présente catégorie qui, non seulement essaimèrent de suaves douceurs sur les sentiers de mes lectures vespérales d'adolescent, mais m'ouvrirent la voie vers l'envie de me gorger toujours plus de nouveaux termes de vocabulaire - quand d'aventure le Professeur de déclamation française qui m'en fit réciter quelques-uns pour l'obtention de l'un ou l'autre prix de Conservatoire voulait bien m'en expliquer le sens ...

Ainsi, petite anecdote, dans ce merveilleux "Bateau ivre" qui tant me fit rêver - j'évoque, bien évidemment, la version complète -, les fameuses "Péninsules démarrées".

J'avais déjà rencontré le poème avant de l'interpréter sur scène mais fort peu compris, en définitive, dans la mesure où si je lus beaucoup, parfois ce fut un peu trop jeune et avant que l'intervention de cet Enseignant m'indique qu'il s'agissait d'amarres rompues et qu'il introduise quelques notions de mythologie grecque pour évoquer les célèbres îles flottantes ...

On n'est pas sérieux quand on a ... 14 ou 15 ans à vouloir lire semblables oeuvres sans encore avoir en soi une solide culture générale ...
Mais c'est aussi grâce à de semblables Professeurs - que je ne remercierai jamais assez - qu'il me fut donné de l'acquérir !

Écrit par : Richard LEJEUNE | 14/09/2012

C'est un véritable régal littéraire de vous lire, cher Richard, contant ces anecdotes de votre adolescence. Je vous imagine sur scène avec, déjà, une diction parfaite, et tenant votre auditoire sous le charme, comme maintenant, dans votre blog, vous enchantez vos lecteurs.
Je me souviens d'un professeur d'italien, d'histoire et de géographie, qui nous enseignait aussi la mythologie. De plus, ce professeur inoubliable nous récompensait de notre attention aussi respectueuse que passionnée en terminant ses leçons par un passage de la "Divine Comédie" de Dante Alighieri. Bien des décennies plus tard, je me rappelle ses cours.
Je comprends fort bien votre gratitude envers vos enseignants et je respecte cette solide culture générale que dispensent les études universitaires.
Il est temps que je m'aperçoive combien je me suis éloigné de Rimbaud et avec quelle facilité je me place moi-même hors sujet !

Écrit par : Christian JOUGLA | 15/09/2012

Pendant ma combustion, je devins impassible,
Je ne me sentis plus rôtir dans la chaleur.
Qu'un évêque criard m'eût ce jour eue pour cible
Ne fut rien quand du ciel j'ai rejoint la couleur.

Plus ne chevaucherai en guerrier équipage
Pour tuer des manants ou des barons anglais.
Quand avec la chaleur ont fini ces tapages,
La Seine me laissa descendre où je voulais.

L'eau de Seine a rejoint celle de la marée.
Mon coeur redevient sourd, mon simple coeur d'enfant.
J'oublie cette bataille hier par moi démarrée,
J'oublie mon étendard et mon roi triomphant.

J'oublie aussi tout fief qui n'est pas maritime.
Les angéliques voix sonneront sur les flots,
Et mes prochains combats n'auront pas de victimes.
Les terrestres soldats me paraissent falots.

La profondeur des flots est ma retraite sûre,
Plus douce infiniment qu'une boîte en sapin.
Elle est loin, la prison avec ses vomissures,
Et nul geôlier sur moi ne met plus le grappin.

Aux archanges divins je dédie ce poème.
Qu'ils en versent les mots dans leur coeur lactescent
Et leur esprit d'azur vert, où, flottaison blême
Et ravie, un désir lascif parfois descend.

Car un archange aussi a besoin du délire,
S'il va planant sous les rutilements du jour,
S'il s'enivre d'alcool pour éveiller sa lyre,
Et s'il songe aux rousseurs amères de l'amour.

Ses larmes jaillissant formeront une trombe,
Mais son chagrin jamais ne dure jusqu'au soir :
Il est consolé par le peuple des colombes,
C'est du moins la vision que mon âme a cru voir.

J'ai vu l'archange atteint par le pinard mystique
Dont vacillait soudain le regard violet,
Envahi du remords d'un drame très antique
Et partant se coucher sans fermer les volets.

Par une absinthe verte il eut l'âme éblouie,
Vapeur brûlant dans sa cervelle avec lenteur,
Des galettes ayant des fèves inouïes,
Et les copains buvant des litres de planteur.

Sous l'effet des boissons disant des vacheries,
Ils ont tenu parfois des discours agressifs,
Sans permettre à l'esprit fumeux des otaries
De décrypter pourtant leurs jeux de mots poussifs.

(...)

Archange dont le corps était jadis de braise
Et qui est maintenant ce pauvre insecte brun
Qui rampe sous les lits et qu'on nomme punaise
En raison, semble-t-il, de son mauvais parfum.

(...)

Je ne crains plus le feu ni aucun coup de lame,
Mais j'ai peur de rester comme dans du coton.
Pourquoi à mon orgueil a-t-il fallu ces flammes ?
J'aurais dû épouser un vieux marin breton.

Écrit par : Cochonfucius | 20/02/2013

Je ne sais plus si j'ai des visions, ou si j'entends des voix, en lisant votre poème écrit en hommage à Jeanne d'Arc !

Jamais je n'aurais cru que la courageuse petite paysanne qui se transforma en guerrière, se fâchant lorsque l'on oubliait de la questionner sur des questions stratégiques, la Pucelle d'Orléans à la fidélité exemplaire, qui redevenait une petite fille et pleurait lorsqu'elle était blessée (à deux reprises), me ferait un jour sourire grâce à vos vers.
Bravo, Monsieur !

Écrit par : Améthyste | 20/02/2013

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