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16/11/2012

"LA CALOMNIE D'APELLE" DE BOTTICELLI

 

Faisons une courte pause dans "la Peinture à travers les âges", si vous le voulez bien, pour rendre visite à Botticelli qui s'inspira de l'injustice subie par Apelle, peintre grec de l'Antiquité emprisonné pour une faute qu'il n'avait pas commise et auteur d'une peinture intitulée "la Calomnie" (ainsi que nous l'avons vu dans un précédent article, "Apelle, peintre grec du IVe siècle av. J.-C."), pour réaliser à son tour, vers 1495, une œuvre allégorique représentant la calomnie et autres vils sentiments et actes.



Ce tableau de Botticelli "surprend par son format relativement réduit (62 x 91 cm) ainsi que par la technique employée dont la finesse rappelle celle des miniatures."

 

Dans une salle ouverte, abondamment décorée de bas-reliefs et de sculptures, le roi, à droite de la toile, siège sur un trône. À ses côtés, les allégories du Soupçon et de l'Ignorance lui soufflent perfidement des ragots dans ses oreilles d'âne, symboles de sa sottise et de son manque de réflexion. Ses yeux sont fermés, refusant de voir la vérité et la justice. Il tend la main pour désigner au hasard qui prendra la parole.


La personnification de la Haine, un homme vêtu d'un vêtement sombre, tend agressivement le bras. Sa main, d'une longueur disproportionnée, veut frôler celle du monarque afin d'obtenir l'autorisation de déverser ses paroles haineuses. De l'autre main, il enserre fermement le bras de la Calomnie qui porte, de sa main droite, une torche symbole des mensonges qu'elle répand sur son passage. De la main gauche, l'allégorie de la Calomnie traîne sur le sol, en le tirant par les cheveux, sa victime, un adolescent à demi dévêtu dont la nudité rappelle l'innocence. Il joint vainement les mains suppliant d'être libéré.


Derrière la Calomnie, ses deux servantes, la Fourberie et la Fraude, revêtant l'apparence trompeuse de deux belles jeunes femmes, tressent les cheveux de leur maîtresse, les ornent hypocritement d'un ruban blanc et de roses symbolisant la pureté et l'innocence pour masquer ses mensonges. 



Plus loin, le Repentir est représenté par une personne très âgée, habillée d'une cape noire sur des vêtements déchirés. Elle se tourne avec un rictus vers le dernier personnage féminin, à gauche, l'allégorie de la Vérité, d'une beauté parfaite dans sa nudité intégrale, et qui me fait songer à la magnifique déesse peinte par Botticelli, dix ans plus tôt, lorsqu'il réalisa "la Naissance de Vénus". La superbe Vérité "fait un signe avec l'index de sa main droite pointé vers le haut, vers les Puissances dont on doit attendre le dernier jugement sur le mensonge et la vérité. Sans se préoccuper de ce que font les autres, tous en mouvement vers le roi, et donc totalement isolée d'eux, elle manifeste ainsi sa constance incorruptible."

 

(Bibliographie : Botticelli par Barbara Deimling. Édition particulière pour Le Monde. Taschen GmbH, 2005).

 

(Écrit par Améthyste)


 

botticelli_calomnie2.jpg

 

                       "La Calomnie d'Apelle" (vers 1495) de Botticelli.

 

Commentaires

Etonnant exercice littéraire que cet ekphrasis qui permit par la suite à ce maître de la Renaissance italienne Botticelli de ... permettre la renaissance ... de cette peinture.

Oui, ce tableau surprend effectivement par son format réduit, d'autant plus étonnant qu'il se compose d'une diversité de détails d’une grande finesse – ce qui n’est pas pour me déplaire - que l'artiste a réussi à insérer dans cette sorte de parabole que vous nous permettez, par vos explications pointues, sous votre plume habile, de bien appréhender. J'aime beaucoup !

Mais diable, que l'être humain y est représenté sous ses plus mauvais côtés ! ?

Écrit par : Jean-Claude | 17/11/2012

Botticelli a-t-il ressenti à ce point le traumatisme subi par Apelle pendant son emprisonnement pour l'exprimer avec autant de talent ? A-t-il été lui-même victime de calomnies ? En faisant vivre tous ces sombres personnages, veut-il exorciser une tragédie personnelle ?

La magnifique Vérité parviendra-t-elle à réduire à néant les sinistres vices parfois présents autour de nous ? Elle semble bien isolée avec son idéalisme...

Écrit par : Améthyste | 23/11/2012

Ah !, l'ekphrasis, si courante à la Renaissance, à laquelle Jean-Claude ici fait allusion me rappelle de bien lointaines lectures accompagnant les premiers cours d'Histoire de l'Art qui me furent jadis prodigués.
Si, de nos jours, le terme semble être devenu obsolète et a disparu des dictionnaires - et bizarrement du grand Robert historique de la langue française !! - , il m'est resté en mémoire avec un immense, immense exemple : la plus que célèbre description du petit pan de mur jaune dans la "Vue de Delft", de Vermeer, qu'admirateur inconditionnel de Proust je relis toujours avec plaisir ...

Mais là n'était pas le but de ma présente intervention.
A dire vrai, n'ayant jamais eu l'heur de visiter les Offices, ce Botticelli m'échappa au sein des ouvrages d'art en ma possession.
De sorte qu'en le détaillant ce matin, je fus fort étonné d'y trouver un geste, voire même deux si mes yeux ne me trompent pas, que je ne connaissais que dans l'"Ecole d'Athènes", de Raphaël.
Rappelez-vous, Améthyste, côte à côte, Platon et Aristote.
Comme ici la Vérité, Platon, tenant en main un exemplaire de son "Timée", dialogue sur l'origine de l'Univers, pointe l'index de l'autre main vers le ciel, monde des Idées à ses yeux ; et comme ici le "Repentir", Aristote, son "Éthique" dans une main, désigne la terre de l'autre, monde sensible.

L'opposition entre deux mondes, c'était donc déjà philosophiquement ce qu'ici montrait Botticelli, une bonne dizaine d'années avant Raphaël ...

Mais peut-être mon interprétation est-elle incorrecte. Peut-être que ces deux gestes qui m'ont interpellé n'ont-ils rien en commun.
Peut-être est-ce le fruit du seul hasard qui fait que deux aussi grands artistes de la Renaissance les représentent dans deux oeuvres aussi différentes ...

Écrit par : Richard LEJEUNE | 18/11/2012

J'ai regardé attentivement l'"Ecole d'Athènes" de Raphaël, fresque aux multiples personnages, et plus particulièrement Platon et Aristote.
Oui, Richard, j'ai vu la similitude des gestes de Platon et de la Vérité, cette dernière dans "la Calomnie d'Apelle" de Botticelli, montrant le ciel.
Aristote, désignant la terre de sa main libre, rappelle en effet le Repentir. Je me demande si ce dernier personnage, dont les mains pourraient être entravées par un dérisoire lien imaginaire, ne semble pas, par cette pause, indiquer l'inutilité du repentir, la stérilité de tout sentiment de culpabilité, confortant ainsi l'expression grimaçante de son visage.

Écrit par : Améthyste | 23/11/2012

Quand les propos de Jean-Claude, la semaine dernière, me remirent en mémoire le terme d'ekphrasis, c'est évidemment à Proust que je pensai et aux cours que je reçus lors de mes études littéraires.

J'ai, vous vous en doutez, ensuite fouillé les étagères du grenier où, rangées par thèmes et années d'apprentissages, j'ai mis la main sur les notes de cours que j'avais prises au vol à l'époque.

S'en approchant au plus près, j'ai trouvé sur le Net un article très court, pointu et néanmoins clair, de Barbara Cassin, - heideggerienne avérée, ce qui en l'occurrence est loin d'être inintéressant quand il s'agit de sémantique grecque -, qui explique ce qu'est l'ekphrasis et, surtout, qui en fait un rapide historique grâce à quelques exemples parmi les plus évidents ...

Si cela vous intéresse, en voici le lien :

http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/$DESCRIPTION1.HTM

Cela vaut vraiment la peine d'être lu ...

Écrit par : Richard LEJEUNE | 23/11/2012

Richard, j'imagine, et cela très respectueusement, votre grenier tel un sanctuaire où des notes écrites à une vitesse vertigineuse pendant des décennies d'études (années d'études personnelles comprises) attendent patiemment d'être consultées.

Merci pour votre lien sur l'article de Barbara Cassin. Il est, en effet, très clair et très intéressant.
Une phrase a particulièrement retenu mon attention : "Pas un mot non plus dans la bouche des personnages qui rende un son franc et clair : tous parlent un langage de pure convention" (Hésiode, "les Belles Lettres").
Que ces termes ne puissent jamais être appliqués à une seule phrase écrite ici ! C'est ce que souhaite ardemment.
Merci, Richard, pour cette recherche.

Écrit par : Améthyste | 29/11/2012

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