08/08/2019
"LE SOUVENIR" PAR POUCHKINE
"Le Souvenir
Lorsque pour le mortel se tait le jour bruyant,
Quand par les rues muettes de la ville
S'étend l'ombre à demi transparente des nuits
Et le sommeil, prix des labeurs du jour,
C'est alors que pour moi se traînent en silence
Les longs instants d'une veille accablante.
Dans cette nuit oisive en moi brûle plus fort
Au fond du cœur la dent de mon serpent ;
De pénibles pensers, des rêveries se pressent
Dans mon esprit écrasé par l'angoisse.
Le souvenir déploie devant moi sans un mot
Son long rouleau, son parchemin sans fin.
Et relisant ma vie, écrasé de dégoût,
Je ne sais plus que trembler et maudire.
Et, amer, je me plains, mais les larmes amères
N'effacent pas les lignes douloureuses."
(Pouchkine)
(Traduction de Jean-Louis Backès. Bibliographie : Pouchkine par Jean-Louis Backès. Éditions du Seuil, 1966).
Les Adieux de Pouchkine à la mer (1877) par Répine et Aïvazovsky.
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04/07/2019
"BRISE MARINE" PAR MALLARME
"Brise marine
La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots ! "
(Stéphane Mallarmé).
Séducteur (1952) par René Magritte.
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14/06/2019
"LA CLOCHE FELEE" PAR BAUDELAIRE
"La Cloche fêlée
Il est amer et doux, pendant les soirs d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts."
(Charles Baudelaire).
Abbaye dans une chênaie (1809) par Caspar David Friedrich.
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11/04/2019
"PELERINAGE DE CHILDE HAROLD" PAR LORD BYRON
Voici des extraits de poèmes aux vers enchanteurs de Lord Byron sur son séjour en Italie, la fragilité du bonheur, les illusions de l'amour :
"Je fus à Venise sur le pont des Soupirs,
Un palais d'un côté, de l'autre une prison,
Et je vis surgir ces constructions des vagues
Comme sous l'effet d'une baguette magique.
Un millénaire durant, l'ombre de leurs ailes
M'a recouvert et une Gloire mourante sourit
En pensant aux temps lointains où les peuples vassaux
Tournaient leurs regards vers les piliers de marbre du Lion ailé
Quand Venise régnait, assise sur ses cent îles.
..........
C'est de sa propre beauté que l'âme est malade
Et s'enfièvre de fausses créations. Où sont,
Où sont les formes que le sculpteur saisit ?
En lui seul.
Mais j'ai vécu et je n'ai pas vécu en vain ;
Mon esprit peut perdre sa force, mon sang son feu,
Et mon corps périr dans les pires tourments ;
Il y a en moi quelque chose qui découragera
La torture et le temps, et vivra quand je ne serai plus ;
Quelque chose qui n'est pas de la terre,
Et à quoi ils ne pensent pas,
Comme l'écho lointain d'une lyre muette,
Se glissera dans leurs esprits calmés, pour émouvoir
Dans des cœurs, aujourd'hui de glace, le tardif remords de l'Amour."
(Lord Byron : extraits du Pèlerinage de Childe Harold).
(Bibliographie : Lord Byron, la Malédiction du génie par Gilbert Martineau. Éditions Tallandier, 1984).
Palais Contarini del Zaffo à Venise par Claude Monet.
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25/01/2019
"PETITES MISERES D'HIVER" PAR J. LAFORGUE
"Petites Misères d'hiver
Vers les libellules
D'un crêpe si blanc des baisers
Qui frémissent de se poser,
Venus de si loin, sur leurs bouts cicatrisés,
Ces seins, déjà fondants, ondulent
D'un air somnambule...
Et cet air enlise
Dans le défoncé des divans
Rembourrés d'eiders dissolvants
Le Cygne du Saint-Graal, qui rame en avant !
Mais plus pâle qu'une banquise
Qu'Avril dépayse...
Puis, ça vous réclame,
Avec des moues d'enfant goulu,
Du romanesque à l'absolu,
Mille Pôles plus loin que tout ce qu'on a lu !...
Laissez, laissez le Cygne, ô Femme !
Qu'il glisse, qu'il rame,
Oh ! que, d'une haleine,
Il monte, séchant vos crachats,
Au Saint-Graal des blancs pachas,
Et n'en revienne qu'avec un plan de rachat
Pour sa petite sœur humaine
Qui fait tant de peine..."
(Jules Laforgue)
Léda et le Cygne (1531) par le Corrège.
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